Ce n’est pas ma biographie.C’est juste le procès-verbal succinct dressé par le Brigadier chef Marcel Berthoilles. Après mes interrogatoires et de nombreuses investigations sur mes agissements, il l’a tapé en quelques lignes sur le coin d’un bureau en aluminium, avec une horloge immobile au mur, des flingues posés sur des étagères en bordel et des flics qui fument des gitanes en regardant par la fenêtre le temps qui passe bizarrement. Gardes à vue, filatures étalées sur plusieurs années, photos volées ou récupérées, dressent un portrait partial d’une vie que j’aime et qui a nourri ma passion pour l’écriture.
« L’individu a vécu les premiers jours de sa vie à Courchevel. Il a ensuite passé quelques années dans le désert du Sahara, puis a traversé le monde en bateau pour aller vivre dans une île du Pacifique jusqu’à son bac. Retour en France pour des années d’études supérieures au cours desquelles le suspect fréquente aussi bien des anarchistes, des petites bourgeoises, des femmes engagées, des poètes désabusés, des spéléologues en colère, des nobles érudits, des autonomes furieux que des hippies. Il lit beaucoup trop, ce qui le rend suspect. L’enquête montre cependant qu’il n’a commis aucun acte irréparable à cette époque. « .
Pièce versée au dossier: photo des R.G. au cours d’une manifestation.
« L’interpelé raconte ensuite être parti en auto-stop de la Porte d’Orléans et avoir traversé le monde, en compagnie d’une copine, en bateau à voile, en vélo rouillé, en carriole déglinguée, en bus fatigué, en ferry à moitié naufragé, en train bondé, à pied et à cheval, à travers la Turquie, l’Iran, l’Afghanistan, le Pakistan, l’Inde, le Népal, la Birmanie, la Thaïlande et la Malaisie. Kessel, Loti, Byron et Gengis Khan l’aurait incité à l’aventure. Après son passage plusieurs événements dramatiques se sont déroulés dans ces pays (révolution, guerre, coup d’état, attentats, etc.) sans que l’on ait une preuve de son implication. Nos services ont perdu sa trace pendant un an ».
Pièces versées au dossier: photos de l’interpelé dans les montagnes de Bamiyan et au Népal, retrouvées dans son ordinateur »
« Il est à nouveau observé par nos services, un an plus tard, au fin fond de la brousse calédonienne, à Pouébo. Au cours des cinq ans qu’il passe dans le nord de l’île, il devient enseignant puis directeur d’un collège, et vit dans une grande maison ancienne, un peu délabrée, isolée, au bord de la mer. Il écrit un livre pour la jeunesse « Le Bateau-Banyan », couronné d’un prix littéraire calédonien, qui rencontre un certain succès. Lors d’une perquisition, la gendarmerie découvre des centaines de livres européens, américains, turcs, italiens, brésiliens, argentins et scandinaves, entassés dans son salon. Un an après son départ du village, l’île est embrasée par des événements meurtriers. Marié et bientôt papa, il semble ne pas être impliqué dans cette tragédie. »
Pièces versées au dossier: photos prises de l’individu par le Gendarme Cruchot. »
« Jusqu’aux années 2000 l’individu n’intéresse plus beaucoup les services de Police. Il réalise une bande dessinée inspirée par les événements et la situation insurrectionnelle de l’île, publie des magazines et des journaux dans le Pacifique Sud et édite (entre autres) une collection intitulée « Chroniques du pays Kanak » en coordonnant des écrivains, des chercheurs, des scientifiques, des historiens et des artistes du monte entier tout en élevant ses trois enfants. «
« L’individu est de nouveau surveillé par nos services quand il vit à Montmartre à partir de 2004. Avec son épouse, anticipant le développement d’internet, il crée une start-up de stratégie digitale, écrit, photographie, voyage, s’amuse, réfléchit et joue à la pétanque. Voulant rajouter un ouvrage aux deux ou trois mille bouquins qu’il a lu dans sa vie, il écrit un roman noir qui se passe dans un village tout à la fois isolé et très contemporain. Il s’intéresse autant à la psychologie des personnages qu’à l’action, sombre et angoissante autour du cadavre d’un riche agriculteur corrompu.
Romain Naudin, le directeur de Geste Editions, une maison dynamique qui comprend plusieurs collections à succès, a accepté le manuscrit de ce polar rural pour le publier en mai 2026, dans leur collection MOISSONS NOIRES.
Il est demandé aux services administratifs de continuer à tenir à l’œil ce suspect ».
Ci-jointes, quelques photos récentes de notre larron.
Fin du procès-verbal, le 1er septembre 2025.
QUELQUES COMPLICES ET SUSPECTS ISSUS DES DOSSIERS DE LA POLICE
